| Elle baissa les yeux et prit son air de martyr. Cécile, la sœur de Prune, avait redoublé sa Première. Elle avait toutefois rattrapé cette catastrophe en rentrant à Sciences-po. Ce n’était pas Polytechnique, mais enfin, il ne fallait pas trop en demander à cette pauvre fille. — Qu’est-ce qu’elle a fait, encore ? demanda Jean-Michel, sortant enfin de sa torpeur intellectuelle. La mère de Prune se contenta de rallumer la télé. Pendant le reste du repas, Prune essaya de penser à Marilyn Manson : « Yesterday, I was dirty, wanted to be pretty… » Très tôt, elle avait compris que tout serait merdique comparé à la musique. Quand elle appuyait sur la touche « play » de son Discman, un univers s’ouvrait. Le monde dans lequel elle était née était étroit, mauvais et sans avenir. Un monde sans aucune grandeur, sans aucune possibilité de transcendance. Au fond, même la musique ne pouvait rien pour combler le vide. — Ah non, pas encore ce programme crétin… Reste sur la 3, ça va être la météo, dit la mère de Prune en se saisissant de la télécommande. Prune se mordit la lèvre inférieure. Ce n’était quand même pas de sa faute si elle ne supportait pas toute cette crasse. Et elle devait se les taper tous les jours ! Ses parents, son beau-père, les gens de sa classe, toutes ces merdes pathétiques qui faisaient son quotidien, qui faisaient sa vie. — Au fait, tu veux organiser une fête pour ton anniversaire ? Jean-Michel se tourna vers elle avec son sourire des bons jours. — Euuh…Bof…C’est que… Prune gratouilla le fond de son assiette avec son couteau. — Tu sais bien qu’elle n’a pas d’amis, arrête de l’embêter avec ça, fit sa mère en haussant les épaules. Le regard que lui jeta Prune contenait toute la haine dont elle était capable. La vieille pute, qu’est-ce qu’elle croyait ? Qu’elle n’était pas capable de se faire des amis ? Il aurait suffi qu’elle s’achète un jean Miss Sixty et qu’elle fume des joints comme tout le monde. Les pauvres crétins de son âge n’avaient qu’une ambition : s’intégrer, se faire accepter par un groupe supposé supérieur et populaire. Elle au moins était individualiste ! Elle voulait être unique, pas appartenir à un troupeau de semi-retardés. | |