Elle remit la chanson au début et alla dans la salle de bains. Les lames de rasoirs brillaient sous la lumière. Elle les désinfectait toujours après s’être coupée. Elle releva ses manches et observa sa nouvelle plaie. Les fils sillonnaient la cicatrice, sur un ou deux centimètres. Elle appuya un peu sur la peau violacée. C’était fascinant : sa première cicatrice avec des points de suture ! Les autres traces rouges faisaient amateur en comparaison. Prune était quand même contente du design général. Les cicatrices les plus anciennes étaient de simples rayures sur la face antérieure de l’avant-bras. « Des trucs de pré-pubère », pensa Prune. Les deux MM entrelacés lui plaisaient nettement plus. Ça lui donnait l’impression d’être liée à Manson, d’avoir avec lui une relation secrète, probablement unilatérale mais néanmoins forte et indestructible. « The empty bodies stand at rest, casualties of their own flesh… » hurlait Corgan.
Bien sûr, il y avait aussi les initiales de Xavier Polin sur le biceps. Celles-là, elle aurait donné n’importe quoi pour les supprimer. Dire qu’elle avait été passionnément amoureuse de ce type ! Elle lui avait même demandé son signe astrologique, pour vérifier la compatibilité. Normalement, les Poissons sont irrésistiblement attirés par les Béliers. Peut-être que Xavier Polin ne savait pas qu’elle était Bélier, c’est pour ça qu’il était resté insensible à son charme… Prune retourna dans sa chambre pour relire son horoscope dans « Super » : « La traversée du désert est finie ! Tu es sur le point de trouver chaussure à ton pied. Ouvre ton cœur à de nouvelles rencontres sans te prendre la tête ». Prune resta perplexe. Ça lui rappelait le catéchisme, quand on lui disait d’ « ouvrir son cœur pour accueillir l’amour du Christ ». Peut-être que c’était la même chose avec les boyfriends, qu’il fallait être prête à recevoir leur Amour. S’habiller sexy, se mettre du gloss et du mascara, c’était sûrement des moyens pour ouvrir son cœur. À moins que ça soit plus spirituel : avoir confiance en soi, rayonner de bonheur, et autres conneries. Elle jeta le magazine dans un coin et sortit son vernis à ongles.