n est resté un moment à errer, ouvrant et refermant les tiroirs
métalliques. On en voulait une grosse, avec des cheveux vraiment longs.
Sur les deux ou trois qui semblaient convenir, on discuta un bon moment.
Raoul préférait celle-ci, moi celle-là, et Marcel sen foutait,
ou il faisait semblant. Il a fallu graisser la patte du collègue,
bien sûr. Il se demandait ce quon allait bien en faire ou plutôt,
il ne se le demandait pas du tout. Égrillard, le frère. Nous, on le
plaignait un peu de devoir rester là, ce soir, précisément. Il nous
a aidés à la rouler dans une bâche quavait apporté Raoul. Marcel
est venu se garer à cul côté cour. On est rentré. Avec le froid quil
faisait, il ny avait pas un chat dehors. On a roulé pépère et
on est arrivé sans encombres. On était excité comme des puces. On
la posée sur la table. Elle portait seulement une longue chemise
en coton grisâtre. Raoul a retroussé la chemise, et il a rigolé :
tiens, elle a été opérée de lappendicite, comme moi. Tout de
suite on sest mis à sagiter. On se demandait de quoi elle
était morte : on ne voyait rien de précis. Quelques hématomes,
mais qui nétaient peut-être dus quau transport... Marcel
voulait dabord quon mange, mais Raoul et moi on voulait
se mettre au boulot sans attendre. On a commencé par les cheveux.
Les teindre en vert, sans en mettre partout. On était vert jusquaux
coudes, nous aussi, et ça nous faisait bien rigoler. Raoul nous a
fait le coup des martiens, et il nous a raconté pour la énième fois
lhistoire de la pompe à essence. Après il fallait que les cheveux
prennent la forme voulue. On avait acheté un tube de gel mais cétait
pas pratique. Marcel, qui bougonnait de plus en plus parce quil
avait faim, disait quon aurait dû acheter du verni en bombe,
ou un truc comme ça. Nempêche, ça commençait à avoir de la gueule
et on était pas mécontent. Là, Marcel nous emmerdait tellement quon
sest arrêté pour casser la croûte. On a mangé vite fait, et
pas mal picolé. Raoul a manqué tomber parce quil était sur un
tabouret et quil se croyait sur une chaise. Alors quand il a
voulu sadosser...
On est retourné dans le salon. On a étendu par terre une grande toile
cirée et on sest mis au boulot. Raoul pensait quil fallait
lempaler par le cul. Marcel et moi on pensait que par devant
ça serait plus pratique. Raoul rouspétait comme quoi on était des
gâcheurs et quempaler cest par le cul sinon ça sappelle
pas comme ça. Tes un puriste, finalement, a lâché Marcel...
Raoul était vraiment contrarié mais on était deux voix contre une.
On lui a enlevé sa chemise, en faisant attention de pas bousiller
sa coiffure, Marcel lui a ouvert la chatte avec les doigts et moi
jessayais denfoncer le pieu quon avait taillé en
pointe. Pas tellement facile. A voir comme on semmerdait, Raoul
a finalement concédé que par le cul çaurait forcément été pire.
On voulait pas trop lesquinter, non plus. On se demandait de
combien il fallait enfoncer le poteau. On sest dit que le mieux
serait de lenfoncer au maximum. En tout cas, le type de la morgue
navait pas menti : elle ne saignait pas. A ce quil
nous avait dit, ils les saignent pour éviter que ça sabîme trop
vite, ou un truc comme ça. Marcel donnait de petits coups de maillet,
toc toc, et, lair de rien, ça sétait enfoncé de pas loin
dun mètre. Quand on la redressée, pour la faire tenir
debout, ça a été une catastrophe : le pot quon avait prévu
était pas assez lourd, il a fallu aller dans le jardin ramasser des
parpaings en vitesse, des trucs lourds, entasser ça dans le pot, coincer
le poteau, un vrai cirque! Mais ça tenait. On était assez déçu :
elle pendouillait lamentablement. Ses bras, ses jambes, sa tête. Ça
ne ressemblait pas à ce quon avait imaginé. On sest assis
pour boire un coup et, éventuellement, réfléchir. Marcel sest
levé. Il est allé chercher du fil de fer au garage. On a planté des
clous dans la cloison, et avec le fil de fer, on est arrivé à lui
faire prendre plus ou moins la position quon voulait :
jambes écartées formant un L, les bras pareil, et la tête bien droite.
Raoul disait quil aimait pas bien lodeur alors on la
arrosée daprès-rasage et après Raoul a encore plus gueulé quand
il a vu que cétait son après-rasage quon avait pris! On
sentait que ça prenait forme. Maintenant, a dit Marcel... puis il
est allé à la cuisine et est revenu avec le petit couteau qui coupe
bien. Il restait devant la nana, perplexe. Nous on restait en arrière,
on nosait plus rien dire.
Je vais lui faire une césarienne, il a dit.
Il a ouvert le ventre, horizontalement. Les boyaux sont aussitôt sortis.
Ça sest mis à puer dun coup et il y avait des caillots,
et de la merde. Marcel avait enfilé les gants en caoutchouc et bricolait
les boyaux. Il déroulait lintestin.
Je coupe?
On préférait pas. Il a dû se débrouiller comme ça, un vrai casse-tête.
Mais au bout dun moment, cétait pas mal arrangé et ça
ressemblait de plus en plus à ce quon voulait. Marcel avait
artistement déroulé et disposé les intestins sur la gonzesse. Pour
que ça tienne, il plantait ici et là, avec des gestes de couturière,
de grosses aiguilles de seringue, des trocarts. Cétait pas mal,
ça brillait. Mais quest-ce que ça puait. On navait pas
prévu ça, lodeur...
Tant pis : on aérera un maximum, et quand il arrivera,
on lui fera regarder ça de loin...
Le trou derrière la maison était prêt depuis trois jours. Marcel tournait
en rond, lair embêté. Il manque quelque chose... On voyait pas
bien comment faire mais Raoul a eu lidée de récupérer les ampoules
du vélo, et de les brancher sur une pile. On a récupéré aussi lampoule
de la lampe torche et celle de ma mobylette... Là cétait vraiment
joli. Marcel a mis une petite pomme rouge dans la bouche de la nénette.
On a eu un mal de chien à lui faire ouvrir la mâchoire comme on voulait
et après, bien sûr, ça voulait plus se refermer. Ça devenait de plus
en plus délicat et on avait la trouille de tout foutre en lair.
Jai regardé lheure et on a vu les phares de la bagnole.
Raymond sest garé au fond près du hangar, comme il faisait dhabitude.
Cétait sa place. Marcel qui sétait lavé les mains en vitesse
est sorti pour laccueillir et le baratiner un peu. Raoul et
moi on plaçait les cadeaux. Raymond est arrivé dans la pièce les yeux
fermés, guidé par un Marcel radieux. Raymond a fait une grimace en
demandant ce qui puait pareillement. Raoul a rouspété : ça fait
deux ans quon ta pas vu et cest tout ce que tu trouves
à nous dire? Raymond a rigolé. Jai éteint la lumière, branché
la pile et Raymond a ouvert les yeux. Quand il a vu ce quon
lui avait préparé, les cadeaux au pied du sapin de Noël bricolé par
Marcel, il na pas su trouver ses mots.
Il a bégayé. Il sest approché du sapin, la regardé longuement,
a apprécié le boulot de Marcel puis sest retourné vers nous
avec un rire immense, on voyait plus que ses dents et le blanc de
ses yeux. Les cadeaux, cétait plus classique : cravate,
Armagnac, chaussettes en soie. Il se relevait sans cesse pour regarder
le sapin. Cest pas croyable, quil répétait, cest
pas croyable. Après, il est resté devant et, malgré quil tenait
à peine debout, vu ce quon avait éclusé, nous a improvisé, avec
une voix de basse sensationnelle, une version absolument tordante
de « Mon beau sapin », on était écroulé.