Vlad : Cafard.
06/12/99
a violence, elle est ici dans le décor. Ce sont des visions
fugitives vues du train : l'étang de Berre, l'odeur pourrie du souffre et des
eaux mortes. La mer t'offre son premier aspect. Non celui qui fait penser à l'outre-mer,
mais sous la forme d'un cauchemar industriel, rallumé par les torchères des raffineries,
chaque nuit. Le train passe très vite par des plaines saturées de sel, sur un horizon
improbable, où quelques bâtisses résistent aux effluves de dioxyde. Quant à la
lumière, c'est comme entre chien et loup. Début du jour ou fin —on ne sait
plus. Ainsi en est-il de nos vies…
À l'horizon, presque bleu noir, des entrailles de craie
sinistres. À droite de la voie, les talus aux herbes mortes, la boue sur les berges de
l'étang. Visions d'un paysage abandonné. Première vision du sud. Avant il y a eu
l'infect terrain vague où les mouettes viennent trouver leur dose de charogne parmi les
détritus et les sacs de plastique soulevés par le vent. Ici, la ville lâche ses
entrailles et on n'a guère envie de rêver…
Justement, la Ville, parlons-en. Elle commence comme toutes
les villes : une zone improbable de barres de béton, d'autoroutes, de
décombres. Avec la laideur agressive des zones industrielles, la surcharge des panneaux
publicitaires où se déclinent les rêves cheap des salariés. Laideur sans issue.
Périphérie de la Cité : une décharge où la ville crache ses déchets, ce
qu'elle n'a pu digérer. Dans le fracas des trains, sous le réseau des lignes à haute
tension. On a un peu le vertige. Le train ralentit puis s'arrête —puis repart. On a
juste eu le temps de distinguer un groupe d'uniformes au bord de la voie, après le pont.
Une vague silhouette sur le sol recouverte d'un drap blanc. Matière à faits divers pour
demain. Tout est normal, étrangement normal.
Il y aura eu au plus un flash bleu sur les caténaires dans
le soir qui tombe. Deux lignes dans le journal demain. Dans le train, les voyageurs de
commerce et les touristes japonais plaisantent. C'est dommage, on n'a pas pu prendre de
photos car le train allait trop vite. Une photo de cadavre pour souvenir de fin
d'été ! Dommage ! Le train aura au plus dix minutes de retard.
« Nous espérons que vous avez fait un excellent
voyage »…